Chronique de jurisprudence
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- Corinne Mostin : Note - La compétence du juge de paix en matière de copropriété recouvre-t-elle tous les litiges de copropriété ? Assurément, non! (RCDI 2017/4 - p.62).
Le Code judiciaire confère au juge de paix une compétence en matière de copropriété.
L'article 591, 2° du Code judiciaire est libellé comme suit: "Le juge de paix connaît, quel que soit le montant de la demande ... des contestations ayant pour objet l'usage, la jouissance, l'entretien, la conservation ou l'administration du bien commun en cas de copropriété. "
S'y ajoutent la demande d'un copropriétaire en désignation d'un syndic ou d'un syndic provisoire et les actions de l'occupant à l'égard des décisions de l'assemblée générale.
Pour l'essentiel, l'article 591, 2° du Code judiciaire confère ainsi au juge de paix la compétence de connaître des litiges relatifs à la participation proportionnelle du copropriétaire aux droits et charges de la copropriété ainsi qu'aux dépenses utiles de conservation et d'entretien, aux frais d'administration et aux impôts, au droit de disposer de sa part et de la grever de droits réels, au droit d'user et de jouir de la chose commune conformément à sa destination et dans le respect des droits des autres propriétaires, au droit d'accomplir des actes purement conservatoires et d'administration provisoire.
Il s'agit là des droits et obligations visés à l'article 577-2 du Code civil, § 1" à 7, § 9, alinéas 3 et 4 et § 10.
L'article 8 de la loi du 30 juin 1994 a ajouté un 2°bis à l'article 591 du Code judiciaire pour confier au juge de paix "les demandes fondées sur les articles 577-9, § 2, 3, 4, 6 ou 7, 577-10, § 4 et 577-12, alinéa 4 du Code civil".
Cette disposition nouvelle (art. 591, 2°bis) vise la saisine du juge de paix par un copropriétaire dans un immeuble ou groupe d'immeubles bâtis en vue d'annuler ou réformer une décision de l'assemblée générale, d'ordonner la convocation de celle-ci, de l'autoriser à effectuer des travaux urgents et nécessaires, de rectifier les quotes-parts dans les parties communes ou le mode de répartition 'des charges, de substituer sa décision à celle de l'assemblée générale bloquée abusivement par une minorité.
L'article 591 du Code judiciaire confère au juge de paix une compétence spéciale mais pas une compétence exclusive (A. FETTWEIS, Précis de droit judiciaire, La compétence, Bruxelles, Larcier, 1971, p. 76; M. KADANER et M. PLESSERS, o.c., n° 91, p. 412; G. CLOSSET-MARCHAL, La compétence en droit judiciaire privé, Bruxelles, Larcier, 2009, p. 166, n° 245; D. MOUGENOT, Principes de droit judiciaire privé, tiré à part Rép.not., Bruxelles, Larcier, 2009, p. 184, n° 191). Cette compétence lui est reconnue quel que soit le montant de la demande.
Même si, au premier coup d'œil, l'énumération des compétences inscrites à l'article 591, 2° et 2° bis du Code judiciaire peut paraître rencontrer tous les différends auxquels peut être mêlée une copropriété, elle ne le fait cependant pas. Il en est ainsi notamment:
- de la revendication d'un copropriétaire quant à l'étendue de son lot; de la mise en cause de la responsabilité de l'architecte et de l'entrepreneur par un, plusieurs ou tous les copro- priétaires;
- de la mise en cause de la responsabilité du syndic, que ce soit par un copropriétaire (en ce sens: JP Bruges 31 mai 1999, TApp. 1999,4, p. 31, spéc. p. 32, 2ém, col.), certains d'entre eux ou toute l'association et même par un tiers;
- de la responsabilité pour cause de troubles de jouissance causés par un tiers ou par un copropriétaire à un tiers ou à un autre copropriétaire;
- des difficultés ou de l'impossibilité de prendre connaissance du règlement d'ordre intérieur ou des modifications y apportées;
- du recours du copropriétaire ou du tiers intéressé pour défaut d'affichage de l'acte portant désignation ou nomination du syndic;
- des difficultés nées entre occupant et syndic à l'occasion de la présentation des pièces justificatives des charges dans les immeubles à appartement multiples (art. 1728ter, § l", al. 4 Cciv.). Notons que cette disposition du Code civil s'applique aussi en l'absence de copropriété (propriétaire unique de tous les appartements).
Il y a encore les actions menées par l'association:
- conjointement ou non avec un .ou plusieurs copropriétaires en vue de la sauvegarde de tous les droits relatifs à l'exercice, à la reconnaissance de droits réels ou personnels sur les parties communes ou relatifs à la gestion de celles-ci (art. 577-9, § l ", al. 2 Civ.); ,
- récupération des charges communes à l'encontre d'un copropriétaire;
- contre ses fournisseurs;
- contre le syndic;
- contre un tiers, auteur d'un trouble de droit tel celui visé par l'article 1726 du Code civil. Il existait une controverse quant à savoir si l'association qui ne peut avoir d'autre patrimoine que mobilier, peut agir contre l'usurpateur. La question est aujourd'hui résolue par l'alinéa 2 de l'article 577 -9, § 1 er.
Faute d'indication en sens contraire, le juge de paix n'a pas, sur la base de l'article 591, 2° et 2°bis du Code judiciaire, de compétence pour connaître de tous les litiges qui mettent en cause une association de copropriétaires.
Dans le rapport au Sénat (rapport au Sénat 1992-93, na 71212, p. 116), le représentant du ministre de la Justice parle d'ailleurs expressément du 'juge' au lieu du 'juge de paix' car, explique-t-il, il n'est pas exclu qu'une action en référé soit introduite devant le tribunal de première instance.
Philippe Van de Wiele et Serge Winnykamien (Ph. VAN DE WIELE et S. WINNYKAMIEN, Copropriété et syndic d'im- meubles, Bruxelles, De Boeck Université, 1997, p. 149) décomposent les compétences du juge de paix, comme suit:
- les actions 'internes' (l'expression 'Conflits internes' est également reprise par S. DUFRÈNE, "Approches théoriques et pratiques de la loi du 30 juin 1994" dans X, La pratique de la copropriété, Bruxelles, Bruylant, 1996, p. 24; Y. FEYS et F, REYNAERT, "De rechtsvorderingen" in Het mede-eigendomsrecht geactualiseerd, Bruges, die Keure, 1996, p. 138 qui expliquent que le législateur a assigné à la compétence du juge de paix toutes les actions internes de la copropriété mais que le droit commun en matière de compétence est d'application aux actions de l'association (ou des copropriétaires individuellement) à l'encontre des tiers. Et de citer le tribunal du travail en cas de litige avec le concierge ou le tribunal de première instance pour les troubles de voisinage ou les actions en responsabilité, du syndic, les honoraires de celui-ci ou les litiges concernant exclusivement les parties privatives) qu'ils décrivent comme étant celles qui ont trait à la protection des droits individuels des copropriétaires au sein de l'association et dont la liste est inscrite à l'article 577-9 C.civ.;
- l'action de l'occupant tendant à réformer le règlement d'ordre intérieur ou une décision de l'assemblée générale (art. 577-10, § 4, 20, al. 3 C.civ.);
- l'action en dissolution de l'association à la demande de tout intéressé invoquant un juste motif (art. 577-12, al. 4 C.civ.);
- à la requête d'un copropriétaire, nomination d'un premier syndic ou désignation d'un syndic provisoire (art. 577-8, § i-, al. 1 et 577-8, § 7).
Il s'agit, en réalité, des compétences qui sont reconnues par l'article 591, 2°bis du Code judiciaire auxquelles il faut ajouter celle qui est visée par l'article 594, 21° du même code et qui énumère les actions qu'il est possible d'introduire par voie de requête déposée en mains du juge de paix. Les actions du 'copropriétaire ordinaire' (art. 577-2 C.civ.) ne sont pas visées.
Les mêmes auteurs retiennent que le tribunal de première instance ou le tribunal de commerce (Gand, 23 février 1996, TGR 1996, p. 137 mettant en cause une copropriété et un entrepreneur à qui il était demandé de procéder à des réparations des travaux mal exécutés; Comm. Bruges (Ostende) 16 janvier 1997, T.App. 1998/2, p. 30 qui décide de la division d'un groupe d'immeubles dont le promoteur a fait faillite avant que les immeubles soient achevés;
Comm. Fumes, 16 février 2005, NjW, 31 octobre 2006,
p. 809; Comm. Louvain, 3 décembre 2002, T.App. 2003, liv. 2, 33) est compétent pour toutes les autres actions opposant l'association à des tiers ou les copropriétaires entre eux. Et d'indiquer à titre d'exemples: les troubles de voisinage (dans sa contribution, L. DU CASTILLON, "Contentieux de la copropriété" dans X, Copropriété - La loi du 30 juin 1994 modifiant et complétant les dispositions du Code civil relative à la copropriété, p. 197, Louvain-la-Neuve, UCL, colloque organisé le 7 octobre 1994, reconnaît également cette compétence au tribunal de première instance lorsque la valeur de la demande excède 1.860 EUR), l'action en responsabilité décennale intentée contre l'architecte ou l'entrepreneur (voir à ce propos: VUEGHE-CASMAN, "De la recevabilité de l'action en responsabilité intentée contre l'entrepreneur ou l'architecte par un copropriétaire relative aux parties communes d'un immeuble à appartements" (note sous Civ. Arlon 4 juin 1970), RCJB 1972, 338-352), l'action négatoire de servitude intentée à charge de la copropriété voisine.